quarta-feira, 6 de janeiro de 2016

LILIAN PESTRE DE ALMEIDA | Suzanne Césaire dialogue sur et avec Aimé Césaire


O. Entrant en matière.
Partons de notre titre, plus précisément des deux prépositions sur et avec et de notre sous-titre. Celui-ci reprend ce mot-énigme diabase que les plus importants glossaires sur Césaire  expliquent de la même manière, sans doute à contre-sens ou encore insuffisamment.
Le mot dialogue, on le connaît, bien entendu, il vient du lat. dialogus qui signifie écrit philosophique à la manière des dialogues de Platon, provenant lui-même du grec dialogos discussion, composé de dia (au travers) et logos (parole). Donc: échanges avec des paroles.
 Le plan de ce petit texte est très simple: il abordera le dialogue de Suzanne Roussi sur Césaire avec un interlocuteur précis et ensuite le dialogue de ses textes avec les textes de son mari. Le dialogue de Suzanne enfin est diabase et ce mot mystérieux doit être lu comme jeu étymologique et non pas comme l’indiquent les glossaires ou lexiques sur la langue de Césaire. [1] Pour le comprendre, partons d’un mot, absent de son œuvre: catabase.
Le mot ne se trouve pas chez le poète. Il forme en réalité une paire oppositive avec anabase, celui-ci figurant, lui, dans les lexiques publiés sur Césaire avec des explications correctes du moins en partie mais qui peuvent rendre au fond encore plus opaque le passage où il s’insère, comme par exemple, le petit poème passages de moi, laminaire… Ce poème fait partie du tombeau de Wifredo Lam, le peintre et grand ami rencontré en 1941 et disparu en 1982. Rappelons-le:

passages

(la nécessité de la spéciation
n’étant acceptée que dans la mesure où elle légitime les plus audacieuses transgressions)
passer dit-il
et que dure chaque meurtrissure
passer
mais ne pas dépasser les mémoires vivantes
passer
(penser est trop rapide)
de tout paysage garder intense la transe
du passage
passer
anabase et diabase
déjà
se dégage du fouillis au loin
tribulation d’un volcan
la halte d’une vive termitière (in La Poésie, Seuil, p. 467)

Le Lexique de Papa Samba Diop avance trois significations pour anabase, dont deux inutiles pour la lecture du poème césairien. Le sens d’anabase en botanique et en pathologie disperse en fait l’attention du lecteur au lieu de la guider. Il indique textuellement: N. fém. action de monter, ascension. Mais en botanique, genre d’arbrisseaux des steppes salines de la Russie. Et en pathologie, la première période des maladies”. Cette notice coïncide en gros avec la notice du Glossaire, de René Hénane, encore plus savante. [2] Cependant celle-ci a l’avantage d’articuler anabase et catabase, sans les définir néanmoins du point de vue littéraire et poétique.
Sans nier nullement l’importance des glossaires mis à la disposition des lecteurs,  - ils doivent être consultés les premiers, car fort utiles – il faudrait essayer de ne jamais isoler, de leur contexte, les mots employés par Césaire. Dans le cas précis de ce poème du recueil moi, laminaire, son titre (“passages”) s’explique par l’articulation de deux mots grecs: l’un explicite, anabase, par opposition à un mot en retrait catabase, suivi par un autre mot qui fait rime, diabase. En l’employant, Césaire propose un jeu énigmatique à ses lecteurs. La perversité sémantique (je ne suis pas la première à employer ce mot, Annette Smith l’a déjà fait) de Césaire fait partie de son humour: un exemple très révélateur apparaît dans un livre récent d’Ernstpeter Ruhe. Césaire interprétant Césaire attire l’attention de son traducteur allemand Jahn sur le double sens du mot scrupule, il commente: cela vient du latin scrupulus, qui signifie petite pierre, petit grain”. [3]
Le poète, bon latiniste, a fait aussi du grec; il joue avec trois notions distinctes: remonter à la source de la lumière, ascension de l’esprit (anabase); descendre aux tréfonds (catabase) et passer à travers. Il est évident encore que son poème du recueil moi, laminaire est également une petite glose allusive au long poème de Saint John Perse, intitulé justement Anabase (publié en 1924). Ces trois mots ne devraient pas être séparés, ils créent une sorte de jeu de mots discret et sibyllin adressé aux lecteurs. En somme: to the happy few.
Partons du mot absent. Catabase (du grec ancien katábasis, “descente, action de descendre”) est un motif récurrent des épopées grecques: c’est la descente du héros dans le monde souterrain, les Enfers. C'est l'une des épreuves de qualification les plus décisives de la formation du héros épique mais aussi de l'initiation. D’une certaine manière, plusieurs poèmes césairiens, dont le Cahier, présentent une catabase lorsque le narrateur descend au fond de l’abîme intérieur et accepte en toute humilité le passé d’esclave de sa race.

Une catabase est la descente effectuée de plein gré par un homme vivant dans le royaume des morts, l'Hadès... La pleine signification d'une telle intrusion dans l'altérité est inféodée à la possibilité d'en accomplir le mouvement inverse: remonter des Enfers afin de rapporter aux hommes une vérité sur l'invisible. Ce départ de l'Hadès, retour d'une vie absente dans la présence, est l'anabase (ascension), terme d'une victoire sur la mort. [4]

La fin ouverte du Cahier comporte une extraordinaire anabase (“monte, monte, monte…”) et annonce une nouvelle catabase foudroyante pour “pêcher la langue maléfique de la nuit dans son immobile verrition!”. La plus connue et célèbre des catabases est évidemment celle d’Orphée à la recherche d’Eurydice morte. Mais il y en a d’autres également importantes comme, par exemple,  celle de la fin du poème d’Arioste, L’Orlando furioso (1532), lorsque Prêtre Jehan (en italien Prete Gianni) est sauvé par Astolfo (Chant XXXIV). Prêtre Jehan (ou Senapo), condamné pour son hybris et puni par les Harpies qui l’empêchent de toucher des aliments, est enfin pardonné et pourra dépasser l’horrible châtiment de la faim permanente. Il s’élève vers les cieux sur un cheval ailé. Ainsi pour Astolfo et Prete Gianni: catabase suivie d’une anabase.

La notion complémentaire de catabase est anabase (“en haut”, “base”: montée de l'esprit). L'anabase est l'ascension de l'esprit soit imaginaire (ex.: tantrisme), soit rituelle (ex.: ascension d'une montagne sacrée), soit spirituelle (ex.: Mahomet, Coran, LIII, 8), soit vers les cieux (Mésopotamie, hermétisme, gnosticisme), soit vers le paradis terrestre ou céleste, soit au Royaume de Dieu, soit dans le monde céleste; et cette ascension a une signification ou initiatique ou chamanique ou cathartique, purificatrice. [5]

Le poème de Saint-John Perse Anabase [6] fut composé après avoir réalisé lui-même son anabase pendant une expédition au désert de Gobi (1921-1922). Les glossaires sur la langue de Césaire ne devraient pas ignorer cette intertextualité proprement “caribéenne”.
Césaire est parfaitement conscient de cette articulation entre anabase et catabase (ce dernier mot n’apparaît pas dans son œuvre, on le répète, mais l’opposition est évidente) lorsqu’il emploie, dans un sens très particulier, diabase. Ce mot ne peut pas être lu comme le Glossaire et le Lexique indiquent: “Roche magnétique de composition basaltique”. Dans ce cas précis, diabase c’est “passer à travers”. C’est le sens étymologique qui prévaut. Au double mouvement des poèmes épiques chez les Grecs et les Modernes de descente et d’ascension, autrement dit: de remonter à la lumière après un plongeon dans les ténèbres, Césaire répond, dans ce petit poème intitulé “passages” (le titre est révélateur), tel un trisckter, “je passe à travers”. A travers quoi ? A la fois, à travers les ténèbres et la lumière, le bas et le haut, le volcan et la termitière, le grand et le petit. Pour un lecteur connaissant les Amériques noires, passer à travers c’est le fait d’Eshou, celui dont la fonction est de court-circuiter les sens. [7]  Césaire le sait, lui qui citera dans Une tempête, un oriki d’Eshou: “Eshou ! la pierre qu’il a lancée hier/ C’est aujourd’hui qu’elle tue l’oiseau”. [8] Enfin, le dépassement des contraires et des oppositions rejoint le projet ultime des surréalistes.
Suzanne fait plus que citer Aimé dans ses textes avec de courtes épigraphes ou des clôtures parsemées ici ou là, elle suscite et commente, annonce et éclaire. Comme souvent les héroïnes des pièces théâtrales de Césaire, - Mme Christophe et surtout Pauline, par exemple -, elle voit souvent plus loin, elle pré-voit. C’est elle qui définit le rôle du Surréalisme dans la production césairienne et de tous ces jeunes poètes de Tropiques. Dans au moins un cas très précis, elle nous aide à comprendre, illuminant une scène primitive ou originaire d’une autre lumière.  Cette scène est une promenade dans une forêt.
Après ces brèves considérations, notre plan paraît évident et coule de source. Nous aborderons successivement: a) le dialogue de Suzanne avec un traducteur allemand sur l’œuvre de Césaire, b) son dialogue avec l’œuvre de Césaire et c) on essaiera de montrer enfin comment son dialogue est diabase, car elle passe à travers l’œuvre, l’éclairant.

1. Le dialogue de Suzanne sur l’œuvre de Césaire.
Une lettre privée, faisant partie des archives de Jahn et transcrite dans le livre récent de Ernstpeter Ruhe, nous donne un aperçu émouvant de l’intellectuelle, de la mère de famille et de la femme du poète. Cette lettre date de février 1962.
Je reprends le livre très récent de mon collègue Ernstpeter Ruhe, Une œuvre mobile, [9] qu’il m’a permis de lire avant même sa sortie. Ruhe apporte des renseignements précieux et inédits sur l’activité de Suzanne même alors qu’elle ne publie plus. Ouvrons son livre, p.  124 -125. Jahn qui essaie de traduire le Cahier en allemand, écrit au poète en lui demandant des éclaircissements sur un certain nombre de passages qu’il peine à comprendre. Césaire, pris entre la France et la Martinique par ses différentes activités, tarde à répondre. Jahn téléphone alors et écrit à Suzanne. Celle-ci téléphone à son mari à Fort-de-France. Mais citons le texte de Ruhe et la réponse de Suzanne:

La réponse de Suzanne Césaire doit être citée en entier, car elle est une pièce précieuse à verser au dossier d’une personne brillante qui, malgré son rôle très actif dans la revue Tropiques pendant la guerre, est restée bien trop longtemps dans l’ombre de son mari. Grâce au livre récent de Daniel Maximin qui publie ses Ecrits de dissidence (1941 – 1945) elle a reçu enfin l’hommage qui lui était dû. Le titre de Suzanne Césaire: le grand camouflage, si justement choisi par Maximin, cite le titre du dernier article de Suzanne Césaire, titre combien prémonitoire.

Voilà le commentaire de Ruhe. Voici la lettre de Suzanne à Jahn, du 25 février 1962:

Cher ami,
Je m’excuse de vous avoir fait attendre, mais je devais parler à Aimé au téléphone et je voulais lui soumettre votre demande d’explication. Malheureusement l’audition était mauvaise et il n’a pu rien me dire de précis. Je vous propose donc, avec une certaine crainte de me tromper ceci:
1º) lunes rousses, feux verts, fièvres jaunes [strophe 37, 26] sont liés et le vers évoque pour moi comme une débâcle des structures des pays européens, symbolisés par les feux de signalisation aux carrefours des grandes villes.
le grand défi, l’impulsion satanique sont l’œuvre des nègres, soit qu’ils se battent, par exemple, dans une guerre anticolonialiste, soit que le génie des nègres corrompe les rythmes européens comme on le voit à ce déchaînement grotesque des jeunes gens des grandes villes qui aspirent à recréer la frénésie rituelle des danses  africaines (style twist!)
2º) votre fin» [strophe 87, 8]
c’est, je crois, dans le sens de destruction (revoir à la page 26, éd. 1956: Au bout du petit matin…., il ne restera plus qu’un bouillonnement tiède picoré d’oiseaux marins.

A la fin de sa lettre, Suzanne ajoute:

Je ne suis pas satisfaite de ces notes maladroites. Je ne suis pas très à mon aise dans l’interprétation des poèmes d’Aimé, surtout de celui-là qui a si profondément marqué ma jeunesse.
Tout a terriblement changé depuis. Heureusement, Cahier d’un retour reste, impérissable, et je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de le relire, quoique je l’aie fait un nombre incalculable de fois. Merci de le traduire et bravo pour tout le magnifique travail auquel vous vous donnez.
Bien amicalement, S. Césaire.

Ernstpeter Ruhe commente:

Jahn ne pouvait pas être mieux servi par Césaire lui-même qu’il ne l’était par sa femme Suzanne. Pour pouvoir bien répondre, elle a relu le poème entier, ce qui lui permet d’établir pour la strophe 87,8 un parallèle avec un autre passage, et pour bien interpréter les vers de la strophe 37, 26, elle les contextualise de façon très intéressante et éclairante. A lire les réponses de Suzanne Césaire on ne peut regretter qu’une chose: qu’elle n’ait pas participé avec bien plus de «ces notes maladroites» au dialogue sur les poésies césairiennes. (op. cit., p. 125)

Chaque lecteur dégage dans sa lecture des aspects différents. Ruhe fait l’éloge de la lecture de Suzanne et insiste sur l’intérêt évident de ces notes maladroites. Mais ce qui me touche aussi particulièrement c’est la très courte phrase - Tout a terriblement changé depuis” -, avec l’adverbe souligné. En février 1962, [10] je perçois/j’entends comme un regret, chez Suzanne, des années dures et difficiles de la guerre, passées dans une île appauvrie bloquée par la marine anglo-américaine et sous la censure de Vichy. Mais c’était le temps de son activité critique et créatrice dans Tropiques.

2. La création pendant les temps difficiles ou le dialogue avec Césaire.
Tous les textes publiés par Suzanne datent de 1941 à 1945. Regardons-les d’un point de vue spécifique: dans quelle mesure ils dialoguent avec l’œuvre de Césaire?
 Voici la liste des 7 essais critiques-poétiques publiés par Suzanne dans Tropiques: [11]
a) “Léo Frobenius et le problème des civilisations, in Tropiques n°1 (1941): 27-36;
b) “Alain et l'esthétique, in Tropiques n° 2 (1941): 53-61;
c) “André Breton, poète..., in Tropiques n° 3 (1941): 31-37;
d) “Misère d'une poésie: John Antoine Nau, in Tropiques n°4 (1942): 48-50;
e) “Malaise d'une civilisation, in Tropiques n° 5 (1942): 43-49;
f) “1943 : Le Surréalisme et nous, in Tropiques n° 8-9 (octobre 1943): 14-18 et
g) “Le Grand camouflage, in Tropiques n°13-14 (sans indication de mois, en réalité mai 1945): 267-273.
Les quatre numéros de Tropiques, où Suzanne n’a rien publié sont: a) le nº 6 -7 (février 1943); b) deux numéros sortis pendant l’année de 1944 (nº 10, février 1944; nº 11, mai 1944) et c) le premier nº de 1945 (nº 12,  janvier 1945).
Considérons ces années. Au début de 1943, Suzanne s’occupe de son quatrième enfant qui vient de naître; 1944, c’est l’année du long séjour, de presque sept mois, des Césaire en Haïti et 1945, c’est le début de la carrière politique de son mari.
Quelles sont les principales caractéristiques des articles de Suzanne Roussi?:
a) disons-le tout de suite, la férocité cannibale de Suzanne se détache dans le contexte de la revue: les articles les plus durs/agressifs de Tropiques sortent dès le départ de sa plume;
b) elle aborde d’emblée, ensemble avec René Ménil, les grands textes théoriques: Frobenius (Tropiques, nº 1) et Alain (Tropiques, nº 2);
c) elle définit très tôt sa conception de poésie refusant la littérature de hamac et situant la production des jeunes poètes par rapport au Surréalisme et
d) elle annonce, des années avant, le paysage comme source de poétique.
Considérons, tout d’abord, selon l’ordre chronologique, les citations évidentes de Césaire (sous forme d’épigraphes ou de clôtures) dans les essais de Suzanne. Mais ces citations, placées le plus souvent en position stratégique, créent un rapport dialogique de contestation et/ou de problématisation. Autrement dit: Suzanne semble incapable de citer comme tout le monde, tout simplement pour renforcer ou pour exemplifier un de ses arguments.
Dans son premier article, Léo Frobenius et le problème des civilisations” (de 1941), Suzanne aborde directement la théorie et dégage la distinction entre civilisation éthiopienne et civilisation hamitique. Si l’on veut comprendre l’impact de Suzanne, considérons son premier article. L’homme n’agit pas, il est agi, mû par une force antérieure à l’humanité, une force assimilable à la force vitale elle-même, la Païdeuma fondamentale. Nous sommes fixés, Suzanne dit d’emblée ce qu’Aimé dira à Port au Prince, deux ans plus tard. L’homme artiste est un voyant. Senghor plus tard définit la Païdeuma:

Chaque peuple possède sa païdeuma, c'est-à-dire sa faculté et sa manière originales d'être ému: d'être saisi. Cependant l’artiste – danseur, sculpteur, poète – ne se contente pas de revivre l'Autre; il le recrée pour pouvoir mieux le vivre et le faire vivre. Il le recrée par le rythme, et il en fait ainsi une réalité supérieure, plus vraie, c’est à dire plus réelle que le réel factuel.

La Païdeuma se manifeste sous deux formes: la civilisation éthiopienne et la civilisation hamitique (ibidem, p. 30). La première est liée à la plante, au cycle de la végétation. Nous y découvrons le grand régime symbolique que Gilbert Durand appellera plus tard nocturne dramatique” soit le régime du bâton [12]  et qui emprunte la double postulation de la racine qui s’enfonce profond dans le sol et de l’arbre avec des branches qui s’épanouissent vers le ciel. La seconde forme de la Païdeuma correspond à la civilisation de l’homme-animal, à la conquête du droit de vivre par la lutte. Suzanne analyse encore la prise de conscience de ces deux régimes grâce à des saisissements. Elle termine son texte citant un passage du Cahier:il est temps de se ceindre les reins comme un vaillant homme”. [13]
Cette clôture est problématique à un double niveau: a) d’une part, Suzanne récite Césaire qui récite, sans avertir le lecteur, une épître de Paul qui récite l’Ancien Testament (Job en particulier) et b) dans un article mettant en relief l’homme éthiopien”, lié à la plante et à la végétation, Suzanne renvoie son lecteur à la lutte, donc à l’homme “hamitique”. Comme Eshou, elle dépasse les contradictions.
Dans son deuxième article, encore une fois sur théorie, intitulé “Alain et l’esthétique”, toujours de 1941, Suzanne joue apparemment à un autre jeu, celui de la citation cachée sous forme d’une coda baroque. Mais avant d’y arriver, considérons son texte particulièrement, je dirais même: admirablement astucieux. Son texte a à peine 8 pages et demie (p. 53 - 61). Dans les six pages et demie initiales, elle adhère avec intelligence et sympathie à la vision disons “classique” d’Alain, jusqu’à l’éloge de Valéry. En bas de la sixième page, elle fait volte-face de façon radicale : “Mais laissons là notre guide”… et fait le saut vers Rimbaud, Lautréamont, [14] Breton. Suzanne Césaire articule d’ailleurs de façon imprévue Alain et Breton à partir d’un exemple plastique:

Une rencontre curieuse : Alain dans son “système des beaux-Arts” et Breton dans son “Amour fou” proposent au lecteur le même exemple: Vinci conseillant à ses élèves de créer un tableau cohérent à partir de la contemplation des taches d’un vieux mur.
La distance qui sépare les deux hommes se mesure à l’extrême différence d’interprétation de cette leçon de Vinci. Alain, le philosophe de profession, y voit la preuve évidente que l’art est avant tout technique et métier, choix, puisque, le modèle caché dans les taches, il s’agit à force de soins et de retouches de l’en faire surgir. Breton, le poète authentique, déclare lui, que Vinci a résolu ici le grand problème philosophique des rapports de l’homme et du monde. Ici, en effet, l’œuvre cachée dans les taches est une réponse de la chose à l’artiste, réponse qui est la projection du moi secret de l’artiste, de son “désir”, réponse qui est aussi la voix de l’inconnu et du mystère. L’œuvre d’art apparaît alors comme le signe d’une alliance véritable entre la chose et l’homme. Et cette alliance ne peut avoir sa pleine et entière signification que si l’artiste dans un volontaire abandon et un total oubli de soi, s’efface, en quelque sorte, pour qu’éclate le mystérieux message. C’est en poésie par exemple le triomphe de l’écriture automatique. En tout cas, dans tous les arts, le vieil horizon s’élargit et recule au delà du concevable. (ibid., p. 60 – 61).

Arrêtons-nous un instant. Ce vieil horizon [qui] s’élargit” est une citation cachée d’un passage de la fin Cahier:

l’horizon se défait, recule et s’élargit
et voici parmi les déchirements de nuages la fulgurance d’un signe (st. 164)

Ce même thème reprend en filigrane d’autres séquences, antérieures dans la chaîne syntagmatique des strophes du poème, en contrepoint à l’horizon qui s’élargit:

cet horizon trop sûr tressaille comme un geôlier (st. 40)

vienne le bris de l’horizon (st. 113, ajout de Brentano’s)

Sol de boue. Horizon de boue. (st. 139, ajout de Présence Africaine)   

On pourrait avancer que, connaissant très bien le poème, Suzanne le cite sans même s’en apercevoir? En réalité, écrivant en 1941, elle ne connaît pas les deux derniers exemples, car ils n’existent pas encore dans le poème et font partie des ajouts de Césaire, respectivement de Brentano’s (prêt en 1943 et publié en 1947) et de Présence Africaine (de 1956).
Plus important encore. Relisons encore une fois l’assez long passage cité précédemment comparant Alain et Breton: ce que Suzanne écrit là c’est, plus profondément, le schéma encore non-écrit par Aimé Césaire où il opposera classicisme et nouvelle poésie:

47.Des mots?
Ah oui, des mots!
Raison, je te sacre vent du soir.
Bouche de l’ordre ton nom?
Il m’est corolle du fouet.
Beauté je t’appelle pétition de la pierre.
Mais ah! la rauque contrebande de mon rire
Ah! mon trésor de salpêtre!
Parce que nous vous haïssons vous et votre raison, nous nous réclamons de la
démence précoce de la folie flambante du cannibalisme tenace

La connaissance des différentes versions du Cahier, cette œuvre mobile entre toutes, nous permet d’affirmer sans l’ombre d’un doute que c’est Aimé qui, dans son poème dédié à Breton et incorporé plus tard à la version Brentano’s, résume à sa manière le texte écrit et publié par sa femme en 1941. Cela nous donne également un aperçu foudroyant de la connivence profonde dans le couple. Et cela dure assez longtemps, car si le passage final parce que nous vous haïssons…. cannibalisme tenace fait partie du poème En guise de manifeste poétique, de 1942,  le passage du début de la strophe Des mots? jusqu’à Ah ! mon trésor de salpêtre! apparaît dans le Cahier assez tard, dans la dernière version du poème, celle Présence Africaine en 1956. Cela nous fait comprendre que si Suzanne dans ses épigraphes ou clôtures de textes reprend Aimé, celui-ci, lui aussi, reprend le texte de sa femme soit en le développant, soit en le résumant.
On doit donc revenir sur notre première impression: ce n’est pas Suzanne qui reprend et développe à la manière d’une coda baroque, une strophe du Cahier mais bien au contraire c’est Aimé qui résume elliptiquement un retournement radical de Suzanne dans son texte de 1941 dans Tropiques.
Mais Aimé n’est pas le seul à reprendre Suzanne. René Ménil le fera également, mais n’anticipons pas.
Le troisième texte de Suzanne Césaire est une présentation de Breton: André Breton, poète..., in Tropiques n° 3 (octobre 1941): 31-37, suivi d’une sélection de poèmes (p. 38 - 44) où figure déjà le poème en prose “Pour Madame” (sous-entendu: Mme Suzanne Césaire), avec la date avril 1941 en bas de page (ibid., p. 41). Suzanne présente Breton à la fois théoricien du Surréalisme et poète du bonheur. Breton lui répond avec un poème magnifique en prose qui évoque à la fois la beauté de Suzanne et des petites chabines antillaises. Sans nous attarder, notons les sèmes du feu pour évoquer/peindre Suzanne Roussi: après le très connu éloge belle comme la flamme du punch”, “un visage de cendre blanche et de braises”. Son nom de jeune fille est porteur de sens.
Le quatrième texte de Suzanne est une attaque d’une férocité inédite, Misère d'une poésie: John-Antoine Nau, in Tropiques n° 4 (janvier 1942): 48-50. Aucun de ses collègues hommes de Tropiques jusqu’à cette date n’est allé aussi loin dans l’invective et le mépris. Elle y décortique les lieux-communs de la poésie des îles. Tout y passe, même les classiques aimés des “professeurs coloniaux,pauvres nigauds”: Leconte de Lisle, José-Maria Hérédia et encore Francis Jammes. Elle trouvera à la fin de son texte, la clôture qui reste dans toutes les mémoires:

Allons, la vraie poésie est ailleurs. Loin des rimes, des complaintes, des alizés, des perroquets. Bambous, nous décrétons la mort de la littérature doudou. Et zut à l’hibiscus, à la frangipane, aux bougainvilliers.

La poésie martiniquaise sera cannibale ou ne sera pas. (ibid, p. 50)

La phrase finale marque une date. Elle reste dans la mémoire de ses collègues de revue et Ménil, comme Aimé l’avait déjà fait, reprend la trouvaille sans citer celle qui l’a trouvée. Dans le numéro suivant, Tropiques, nº 5, d’avril 1942, René Ménil, dans un article intitulé “Laissez passer la poésie…”, écrit: “La poésie martiniquaise sera virile. La poésie martiniquaise sera cannibale. Ou ne sera pas”. (ibid., p. 27) La fin du texte rend encore hommage également au Cahier:

Ecartez-vous, vous dans les yeux de qui je lis la peur. Peur de perdre les risibles commodités de votre “vie” et de votre “pensée”. Si vous vous approchez trop, malgré ces paroles, nos poèmes, en doutez-vous, sauront se défendre contre vous.

Laissez passer dans la Caraïbe tumultueuse, à hauteur de menfenil [15] la voix totale, mortelle, exaltante de la poésie. (ibid.,  p. 28)

Pour le nº suivant de Tropiques, Suzanne Césaire écrit un texte important, Malaise d'une civilisation, in Tropiques n° 5 (1942): 43-49. Elle reprend la notion de l’homme-plante de Frobenius et revisite le problème de l’oraliture, explique l’erreur collective sur la supériorité des colonisateurs faisant naître la pseudomorphose (le mot est repris du Cahier) et aborde la problématique du paysage. La question que pose Suzanne reflète identité secrète entre l’homme martiniquais et l’arbre:

Il est exaltant d’imaginer sur ces terres tropicales, rendues enfin à leur vérité interne, l’accord durable et profond de l’homme et du sol. Sous le signe de la plante. (ibid., p. 48)

Ce passage lu en même temps que le Cahier permettrait aux étudiants qui abordent le texte pour la première fois de comprendre à quel point le schéma fondamental du poème est l’arbre.
Dans le nº double de février 43, Suzanne Césaire ne publie rien. Son sixième texte  - 1943: Le Surréalisme et nous - sort en octobre (in Tropiques n° 8-9: 14-18). Il est précédé par une assez longue épigraphe tirée du poème “Batouque”, encore une citation explicite d’un poème d’Aimé Césaire, texte encore “mobile entre tous, particulièrement opaque. Gardons néanmoins l’image finale de cette épigraphe, telle qu’elle se présente à ce moment:

Liberté mon seul pirate, eau de l’an neuf ma seule soif,
Amour, mon seul sampang,
Nous coulerons nos doigts de rire et de gourde
Entre les dents glacées de la Belle au Bois Dormant. (ibid, p. 14)

Pas question ici de proposer une lecture de ce long poème. [16] Il s’agit plutôt de voir comment Suzanne détourne la réécriture césairienne du conte de la Belle au Bois Dormant dans une version assez perverse et ambiguë (celle du Pentamerone, de Giambattista Basile), vers le Surréalisme, posant dès le départ l’identité Belle=Surréalisme/Liberté. Sa première phrase est révélatrice: “Beaucoup ont cru que le Surréalisme était mort. Beaucoup l’ont écrit (ibid., p. 14). La loyauté de Suzanne et son adhésion envers Breton et le Surréalisme vu comme voie vers la Liberté paraissent totales. Dans un texte de six pages, quatre pages et demie incorporent de nombreuses citations de Breton. Dans la dernière partie de son texte, Suzanne aborde la situation à la Martinique.

Des millions de mains noires, à travers les ciels rageurs de la guerre mondiale vont dresser leur épouvante. Délivré d’un long engourdissement, le plus déshérité de tous les peuples se lèvera, sur les plaines de cendre.
Notre surréalisme lui livrera alors le pain de ses profondeurs. Il s’agira de transcender enfin les sordides antinomies actuelles: blancs-noirs, européens-africains, civilisés-sauvages. Retrouvée enfin la puissance magique des mahoulis, puisée à même les sources vives. Purifiées à la flamme bleue des soudures autogènes les niaiseries coloniales. Retrouvée notre valeur de métal, notre tranchant d’acier, nos communions insolites. (ibid., p. 18)

Notons brièvement: a) le dépassement des “sordides antinomies, [17] ce qui correspond au dépassement de tout clivage ethnique dès le départ, présent également dans le Cahier; b) la présence des thèmes de l’eau [18] et du feu [19] qui renvoient au travail du forgeron mythique et le rappel du “tranchant d’acierqui reprend elliptiquement la figure guerrière du “vaillant homme qui se ceint les reins, à savoir, le tout premier texte de Suzanne dans Tropiques avec son intertextualité qui remonte loin dans le temps, jusqu’à Job. La phrase finale, souvent citée, a presque la tonalité de la foi: “Surréalisme, corde raide de notre espoir”. Corde et raide évoquent une situation tendue et périlleuse, où la métaphore du funambule est claire. Mais qu’est-ce un funambule? Celui qui se lance sur les airs reliant deux point séparés.
Le dernier texte publié par Suzanne (Le grand camouflage, in Tropiques n°13-14, sans indication de mois, en réalité mai 1945: 267 - 273) est autrement important. Il clôt d’ailleurs le dernier numéro de Tropiques. Daniel Maximin décrit avec enthousiasme sa découverte de ce texte pendant sa “résidence culturelle chez Léon Damas. [20] Cet essai de Suzanne, son texte le plus long, est une vraie diabase non seulement du Cahier d’un retour, mais également du nouveau poème publié dans le premier nº de Tropiques, “Les Pur-sang suggérant encore sans en avoir l’air la grande “scène primitive” qui donnera naissance à Batouque”. Il évoque les Antilles en général - Haïti, Porto Rico, Martinique, Cuba etc. – annonçant déjà  une poétique de l’espace/paysage qui sera celle d’un Glissant des années plus tard.

3. En guise de conclusion: Suzanne Roussi, diabase.
Relisant successivement les sept textes de Suzanne Roussi, épouse Césaire, publiés entre 1941-1945, le lecteur ne peut ignorer ni la force et l’éclat de son intelligence ni la qualité expressive de sa prose à la fois critique et poétique. Dans le groupe de Tropiques, elle est celle qui passe à travers les œuvres de son mari et de ses collègues, et de Breton. Elle les dialectise. Elle les interpelle par sa rigueur  et leur fournit des formules qui font mouche. Avec et à côté de René Ménil,  elle donne très tôt ses bases théoriques à une revue collective. C’est elle et non pas son mari qui, en 1943, assure le chef de file du Surréalisme de sa fidélité au nom du groupe. Trois poètes, ses contemporains, reconnaissent son mérite indirectement: Césaire, Ménil et Breton.
Dominique Berthet, dans son livre L’Eloge de la rencontre, [21] résume ce que la Martinique apporte d’emblée à Breton. Celui-ci résumera dans huit courts textes rassemblés sous le titre “Des épingles tremblantes ses impressions sur la Martinique, les gens qu’il y rencontre et surtout la nature. Il fait état de sa fascination pour la végétation luxuriante dans “Dialogue créole, qu’il écrit avec André Masson, arrivé une semaine environ après lui en Martinique, texte publié en janvier 1942 à Buenos Aires. [22] Il y revient encore dans le texte Un grand poète noir”, bien connu, car souvent reproduit.
Mais il y a autre chose. En fait, c’est Ménil, plus tard, dans Tracées, [23] le premier à noter la marque de Césaire sur les écrits de Breton au sujet du Surréalisme après le séjour martiniquais. Et sur le Cahier, Suzanne a laissé sa marque que l’on peut entrevoir par des lectures croisées et l’étude de la mobilité de ce poème, avec ses ajouts et modifications jusqu’aux troisièmes épreuves de l’édition dite définitive, de 1956.
Ménil en particulier évoque, dans un beau paragraphe, la traversée magique de la forêt d’Absalon. L’oubli des repères ou des références non seulement bibliques mais également plastiques aujourd’hui fait oublier sans doute aux plus jeunes l’intertextualité de ce nom. Un très grand peintre amoureux de la Bible, - je veux parler de Rembrandt -, a plusieurs gravures et toiles sur ce personnage tragique en rébellion contre son père. [24] De toutes façons, ce seul nom - forêt d’Absalon - devrait faire naître pas mal d’images/souvenirs chez ceux qui la traversent sous la pluie ruisselante dans une promenade qui marque profondément les visiteurs: les trois couples (Breton, Césaire et Lam) plus André Masson, René Ménil et Georges Gratiant.
Nous croyons pouvoir nous abandonner impunément à la forêt et voilà tout à coup que ses méandres nous obsèdent: sortirons-nous de ce vert labyrinthe, ne serions-nous pas aux Portes Paniques? écrivent ensemble Breton et Masson dans le Dialogue créole (publié encore en 1942 à Buenos Aires).
Ce que Ménil garde, lui, de cette promenade, véritable trajet initiatique, c’est la vision d’un couple mythique dans la lumière d’une clairière: le couple d’Aimé et de Suzanne. Nous savons enfin ce que Lam fera de cette expérience cruciale de retour au paysage natal: la toile la Jungle.
Césaire revient subrepticement, dans son “Batouque”, à cette promenade. [25] Les deux textes, celui d’Aimé et celui de Suzanne, abordent pratiquement les mêmes thèmes, se suivent et s’entrecroisent, renvoient l’un à l’autre. Dans le poème, à partir du tam-tam, Césaire évoque l’espace de la Terre tout entière, le grand théâtre du monde, comme chez les baroques mais il évoque également, les paysages de son île natale, de la Lézarde aux petites communes de la côte Est de sa Martinique au bord de l’Océan. Mais au moment où il s’agit de présenter son autre Rebelle, celui dont la tête coupée - à la fois Boukman, en Haïti et Zumbi dos Palmares, au Brésil - hante son imaginaire, il surgit dans un paysage de sous-bois dans une forêt enchevêtrée: “Endormi troupeau de cavales sous la touffe des bambous/ saigne, saigne troupeau de carambas”.
Nous lisons, bien entendu, “cavales” et “carambas”, comme des plantes. [26] C’est indirectement présenter ce Rebelle, ce futur “cou coupé”, comme un marron, vivant dans la forêt d’Absalon. C’est cet assassin, ce violeur qui sera absous par les “mains de salamandre” [27] du narrateur. Le texte de Suzanne Césaire, de 1945, y répond:

Cependant les balisiers d’Absalon saignent sur les gouffres et la beauté du paysage tropical monte à la tête des poètes qui y passent. A travers les réseaux mouvants des palmes ils voient l’incendie antillais rouler sur la Caraïbe qui est une tranquille mer de laves. Ici, la vie s’allume à un feu végétal. Ici, sur ces terres chaudes qui gardent vivantes les espèces géologiques, la plante fixe, passion et sang dans son architecture primitive, l’inquiétante sonnerie surgie des reins chaotiques des danseuses. [….] ici les poètes sentent chavirer leur tête, et humant les odeurs fraîches des ravins, ils s’emparent de la gerbe des îles, ils écoutent le bruit de l’eau autour d’elles, ils voient s’aviver les flammes tropicales non plus aux balisiers, aux gerberas, aux hibiscus, aux bougainvilliers, aux flamboyants, mais aux faims, aux peurs, aux haines, à la férocité qui brûlent dans le creux des mornes. [28]

C’est ce texte de Suzanne qui a été notre fil d’Ariane dans notre lecture du poème “Batouque”. Si notre lecture est cohérente, c’est grâce à Suzanne Césaire, née Roussi, diabase.

NOTAS
1. Deux glossaires sont à consulter, Papa Samba DIOP et René HÉNANE, respectivement: La poésie d’Aimé Césaire. Propositions de lecture. Accompagnées d’un lexique de l’œuvre. Paris, Honoré-Champion, 2010 et Glossaire des termes rares dans l’œuvre d’Aimé Césaire. Paris, Jean-Michel Place, 2004, 142 p.
2. Glossaire, p. 17 et p. 50: Anabase: du grec anabasis, action de monter. Mouvement ascendant, élan vers les hauteurs, par opposition à catabase qui est un mouvement descendant, mouvement de chute. Pathologie: le mot anabase désigne la première partie d’une maladie évolutive. Botanique: L’anabase est une plante chénopode des steppes salées (Bescherelle) et pour Diabase. Géologie: du grec diabasis  passer à travers. Substance magmatique du genre de  la diorite. Entomologie: Insecte diptère d’Amérique. Ichtyologie: genre de poisson acanthoptérygien (nageoire ailée, épineuse).
3. Scrupule est donc une petite pierre intérieure qui nous fait hésiter, qui nous empêche d’agir sur le champ. Inutile de dire que je n’invente rien et que ce jeu verbal ne viendrait à la tête de personne. Ruhe simplement transcrit un commentaire qui est enregistré. Voir RUHE, Ernstpeter. Une œuvre mobile. Aimé Césaire dans les pays germanophones (1950 – 2015). Würzburg, Königshausen & Neumann, 2015, p. 109. Ce mot archi-connu, anodin en somme, devrait entrer dans les glossaires et lexiques?
4. SOREL, Reynal. Dictionnaire critique de l'ésotérisme, Jean Servier (dir.), PUF, 1998, p. 265.
5. RIFFARD, Pierre A. Dictionnaire de l'ésotérisme, Payot, 1983, p. 32.
6. Pour Shlomo Elbaz, Anabase est une sorte de carrefour à l'intersection entre deux modes d'écriture: celle de l'art classique (ordre, harmonie plénitude) et celle de la modernité (désarticulation, déconstruction, voire chaos)”. Voir Lecture d'Anabase de Saint-John Perse: Le désert, le désir, Paris, L'Age d'Homme, 1977, 294 p. (ISBN 978-2-8251-2924-1, lire en ligne [archive]), p. 10.
7. Voir l’essai lumineux de Roger Bastide dédié à Lévi-Strauss, “Le rire et les court-circuits du sens”, in Echanges et communications: mélanges offerts à Claude Lévi-Strauss à l'occasion de son 60ème anniversaire. Paris, Mouton, 1970, p. 953 - 963.
8. Nous avons montré ailleurs (in O teatro negro de Aimé Césaire. EDUFF, 1978) comment le poète récite, dans son œuvre  des orikis traditionnels recueillis par Pierre Verger et puisés dans le volume collectif Textes sacrés d’Afrique. Collection UNESCO. Gallimard, 1965, p. 239.
9. Une œuvre  mobile. Aimé Césaire dans les pays germanophones (1950 – 2015). Würzburg, K/N, 2015.
10. En 1963, un an plus tard, le couple Césaire se sépare, et Suzanne meurt en mai 1966, victime d’un cancer au cerveau. Elle avait 51 ans.
11. Ces textes sont réunis par MAXIMIN, Daniel. Suzanne Césaire: le grand camouflage. Écrits de dissidence (1941-1945). Paris, Seuil, 2009.
12. Voir DURAND, Gilbert. Les structures anthropologiques de l’imaginaire. Bordas, 1981.
13. Daniel Maximin apporte à cette expression, une couche de signification populaire. Voir Aimé Césaire, frère volcan, p. 97: “cette formule populaire, ‘s’ammarrer les reins’, a un sens três fort aux Antilles pour signifier la puissance à emmagasiner, le défi à relever devant la |tache à accomplir...” N’importe: le passage césairien du Cahier sur le “vaillant homme”, repris par le poète dans son premier article de Tropiques que Daniel Maximin intitule “Appel de 1941”, cite les Epîtres de Paul qui recite Job (Accinge sicut vir lumbos tuos, Job, 38, 3) et Isaïe (Et erit iustitia cingulum lumborum eius/ Et fides conctorium renum eius: 11,5).
14. Notons, en passant, que Césaire ne parlera de Lautréamont que dans un numéro plus tardif, in Tropiques, nº 6 - 7, février 1943. Là encore, Suzanne précède et annonce.
15. “À hauteur de menfenil” est la description des îles qui ouvre le Cahier.
16. Le lecteur intéressé pourra consulter une lecture de ce poème dans notre Aimé Césaire hors frontières. Poétique, intertextualité et littérature comparée. Würzburg, K/N, 2015.
17. Remarquons également que le passage “sordides antinomies actuelles: blancs-noirs, européens-africains, civilisés-sauvages” est tout simplement coupé dans L’Histoire de la littérature négro-africaine, de Lilyan KESTELOOT. Histoire de la littérature négro-africaine, Karthala, AUF, 2004 (mise à jour), 386 p. (ISBN 2-84586-112-5), p. 192, ce qui modifie sensiblement le sens du paragraphe. Il semble qu’on ait voulu effacer délibérément Suzanne.
18. “Mahoulis” sont les faiseurs de pluie.
18. Le titre choisi par Daniel Maximin de cet hommage l’exprime bien, “Suzanne Césaire, fontaine solaire”.
20. Voir MAXIMIN, Daniel. Aimé Césaire, frère volcan. Seuil, 2013, en particulier p. 99 - 103.
21. André Breton, L’éloge de la rencontre,  Paris,  HC Éditions, 2008, 160 p.  ISBN 9782911207907 
22. Texte publié à Buenos Aires dans le nº 3 des Lettres Françaises dirigées par Roger Caillois.
23. MÉNIL, René. Tracées, identité négritude esthétique aux Antilles. Robert Laffont, 1962. Réimp. 1981.
24. Absalon est le troisième fils du Roi David. Avec ses longs cheveux blonds, il passe pour être l’homme le plus beau du royaume de son père. Son histoire est racontée dans le II Livre de Samuel. Pour venger Tamar, sa sœur, il fait tuer Amnon, le fils aîné de son père, son demi-frère, lors d’un festin (2 Sam 13: 18 - 28). Des années plus tard, il fomente une révolte contre son père. Une bataille se tint dans la “forêt d’Éphraïm” où l’armée rebelle fut totalement mise en déroute. Absalon, en fuyant, se prit les cheveux qu’il portait longs dans les branches d’un chêne. Joab, général du Roi, transperça à trois reprises le jeune homme  qui se débattait toujours suspendu aux branches. Et son père le pleura amèrement. Le récit de Faulkner, après la guerre civile américaine, Absalom, Absalom, s’y inspire et il date de 1936: il est fort possible que l’angliciste Césaire l’ait lu. Sans parler, bien entendu, de la très bonne connaissance de Césaire des livres poétiques de la Bible.
25. Considérons les dates. Comme pratiquement tous les poèmes de la première phase de la poésie de Césaire, “Batouque” est un palimpseste. Composé par blocs très probablement en 1943, le poème comporte plusieurs changements dont le plus important est la transposition d’une séquence de 24 versets (“Quand le monde sera une mine à ciel découvert…   jusqu’à  …toutes les démissions des chinchillas”) de la fin du poème vers le début, lors de sa publication chez Gallimard en 1946. Cette séquence se trouvait à la fin du poème dans le tapuscrit envoyé à Breton et dans la première publication à New York (février 44). La première référence à “Batouque” apparaît dans la lettre de Césaire à Breton du 16 novembre 1943: “Avez-vous reçu mes dernières lettres ? Un poème Batouque. Je vous enverrai bientôt par paquet-poste les manuscrits d’un recueil possible de poèmes ainsi qu’un drame : Et les chiens se taisaient. Encore en 1943, Suzanne Césaire, dans son texte “ Le surréalisme et nous ” (in Tropiques 8-9, p. 14), choisit comme épigraphe les vers 1-9 du poème dans sa première étape. La première version imprimée de “Batouque” apparaît dans la revue VVV (n° 4, février 1944, p. 22 - 26), dirigée par Yvan Goll à New York. Quatre mois plus tard, Césaire se réfère, dans une nouvelle lettre du 26 mai 1944, encore à Breton, toujours à New York, à deux poèmes : “Batouque et Le Grand midi dont une partie a paru […] dans Hémisphères”. Quinze mois plus tard, le 24 août 1945,  Césaire envoie à Breton, sous forme de tapuscrit (18 pages), un ensemble de poèmes, intitulé Colombes et menfenils, dont fait partie “Batouque” (p. 11-18). Il s’agit alors d’un recueil à publier.
Les publications successives de “Batouque” en livre sont indiquées par l’édition Arnold, 2013 (p. 271 - 275; notes: p. 359 - 361). Il y manque cependant Jahn 1968 (édition bilingue, avec traduction en allemand, p. 92 - 104). Voir à ce sujet encore RUHE, op.cit.
26. Les lexiques publiés indiquent pour carambas (mot au pluriel en plus): “De l’espagnol. Juron, expression de la colère”, mais cette explication ne fait pas de sens dans le contexte du poème. Hénane ajoute encore: “Désigne aussi le nœud de ruban que les femmes portent dans les cheveux, augmentant l’opacité du texte. Ces significations ne permettent pas la compréhension du passage césairien. Or, dans ces versets, nous avons deux types de plantes: cavales et carambas. Les cavales correspondent à ce qu’on appelle en portugais “cavalinha” et carambas sont: Sauge à petites feuilles caramba – salvia microphylla. C’est une vivace arbustive produisant des grappes de fleurs réunies par paires, rouge cramoisi. Les feuilles sont panachées de crème. Au Mexique, on l’appelle mirto de los montesou mirto de las montañas”. Cavale, Equisetum (Prêle) est le seul genre survivant de la famille des Équisétacées (Equisetaceae), la seule famille de l'ordre Equisétales, le seul ordre de la classe Equisetopsida. Elle est décrite par Linné en 1753. Dans n’importe quel petit marché d’herbes au Brésil, on trouve la tisane de cavalinha” (littéralement: petite cavale).
27. Le narrateur s’identifie à son pays natal qui a la forme d’une salamandre. Césaire y revient à l’animalisation de îles caribéennes: “la grande gueule d’Haïti”, “el lagarto verde” de Cuba, “la salamandre” de la Martinique etc. On pourrait facilement multiplier les exemples.
28. “Le grand camouflage”, in op. cit, p. 272 - 273.






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